La pondération de ces quatre critères va s'avérer fort précieuse par rapport à la très grande diversification de contenu harmonique qui peut toucher chacun des douze types de la classification.
La nature même de la marche de type no 1 qui, nous l'avons déjà souligné, circule à travers un cycle de quintes descendantes, structure elle-même considérée comme fondement du discours tonal, en fait le champ d'activité, et donc d'observation, par excellence. Notre examen se limitera d'abord aux variantes de surface, soit de celles qui n'affectent pas le jeu des fondamentales.
a. Variantes de surface
La marche de type no 1 sous l'angle modulant
Sous l'angle modulant, cette marche peut véhiculer plusieurs structures harmoniques différentes:
1. Un cycle de quintes où l'on change de tonalité à chaque accord. L'événement se présente le plus souvent sous la forme d'une suite d'accords de 7e de dominante ou d'accords de 7e diminuée. En ce qui concerne le parallélisme d'accords de 7e diminuée, il y aura toujours lieu d'envisager également, à son endroit, un statut ornemental excluant le mouvement harmonique; en cas d'alternative, on peut toujours recourir aux critères cités plus haut.
Figure 35
Dans la figure 35, nous avons délibérément utilisé la formulation ou au lieu de pour plus de commodité, mais il s'agit bien là d'un geste de cadence évitée où la fonction V de IV s'est substituée à la fonction I attendue.
Exemple 423 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 18, BWV 887 (mes 33-36)
Marche de type no 1
Exemple 424 : Schumann : Frauenliebe und leben, op. 42, no 2 (mes 54-60)
Marche de type no 1
On verra très souvent apparaître cette structure d'un cycle de quintes modulant, cependant amplifiée dans le temps et dans l'espace, à l'intérieur de la section de développement d'une forme sonate de facture classique simple:
Exemple 425 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:47, I, Moderato (mes 42-46)
Marche de type no 1
Exemple 426 : W.A. Mozart : Symphonie no 41, "Jupiter", K. 551, IV (mes 169-189)
Marche de type no 1
Exemple 427 : L.V. Beethoven : Symphonie no 1, op. 21, I (mes 108-122)
Marche de type no 1
2. Des formules en marche, progressant par tons ou demi-tons descendants. Par exemple, et parmi les plus courantes:
caractérisée par l'alternance d'un accord parfait mineur (seule structure habilitée à remplir à la fois la fonction I et la fonction II) et d'une structure pouvant jouer le rôle de V:
Figure 36
Exemple 428 : J. Brahms : Symphonie no 2, op. 73, I (mes 66-71)
Marche de type no 1
caractérisée par l'alternance d'une accord parfait majeur construit sur le 2e degré abaissé d'un demi-ton et d'une structure pouvant jouer le rôle de V:
Figure 37
Exemple 429 : F. Chopin : Prélude, op. 28, no 17 (mes 51-57)
Marche de type no 1
L'exemple suivant fait apparaître tantôt II, tantôt N:
Exemple 430 : R. Wagner : Die Walküre, Acte I, scène 1 (fin)
Marche de type no 1
Figure 38
Exemple 431 : F. Chopin : Sonate pour piano no 1, op. 4, I (mes 95-97)
Marche de type no 1
La marche de type no 1 sous l'angle non modulant
Sous l'angle non modulant, la marche de type no 1 peut se présenter:
1. Soit sans fonctions secondaires
c'est-à-dire avec les seuls accords constitutifs (à l'état fondamental ou autrement) d'une tonalité auxquels peuvent s'ajouter des accords altérés relevant de l'emploi de l'accord napolitain ou de l'emploi du mode mixte
2. Soit avec fonctions secondaires
les plus fréquentes d'entre elles sont, de loin, les dominantes secondaires qui surviennent sous la forme de l'une ou de l'autre des sept structures déjà relevées:
Figure 39
Exemple 432 : F. Chopin : Prélude, op. 28, no 17 (mes 23-27)
Marche de type no 1
Mais la polarisation secondaire peut s'étendre et provoquer des fonctions secondaires autres que des dominantes:
Exemple 433 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. I, fugue no 6, BWV 851 (mes 9-13)
Marche de type no 1
La polarisation secondaire peut même, la symétrie s'imposant, se passer de l'énoncé de la tonique secondaire (comme on l'a observé à l'exemple 432), à l'imitation de la polarisation principale qui peut très bien s'établir sans l'énoncé de la tonique principale. En effet, on peut dire qu'une tonalité est nettement déterminée dès le moment où la fonction de dominante est identifiée comme telle:
Exemple 434 : F. Chopin : Étude, op. 10, no 12 (mes 65-77)
Marche de type no 1
Une perspective non modulante s'impose ici, considérant le contexte (section A' d'une forme ABA') des 44 dernières mesures de cette étude dans laquelle s'insère ce fragment:
Ce même phénomène (de polarisation secondaire se passant de l'énoncé de tonique secondaire) peut également s'observer à l'occasion de marches d'un autre type. Ainsi:
Exemple 435 : E. Grieg : Sonate pour piano et violoncelle, op. 36, I (mes 366-390)
Marche de type no 7
Exemple 436 : F. Mendelssohn : Variations sérieuses, op. 54 (mes 1-4)
a) IV - V - I sans la fonction I et b) marche de type no 4
Enfin, l'angle modulant et l'angle non modulant peuvent se trouver juxtaposés à l'occasion d'une enfilade de différentes structures de la marche de type no 1:
Exemple 437 : W.A. Mozart : Phantaisie, K. 475 (mes 73-77)
Marche de type no 1
b. Variantes de fond
Tous les procédés de diversification exposés jusqu'ici n'ont fait que modifier les composantes internes des accords sans altérer d'aucune façon le jeu spécifique des fondamentales. D'autres modes de variation du contenu harmonique vont provoquer des remaniements autrement plus sérieux, en bousculant ce jeu des fondamentales, mais sans toutefois empêcher l'identification de la marche réaménagée.
C'est encore une fois, à l'instigation du couple de référence, que vont s'introduire ces variantes de fond cherchant à reproduire les substituts les plus fréquents de l'accord de tonique dans le couple dominante-tonique. On sait qu'une polarisation principale s'établit souvent à l'aide d'un substitut de la tonique principale. Ainsi en est-il d'une polarisation secondaire, qui va retrouver en ce cas les mêmes substituts, soit ceux que l'on observe au moment de ce que l'on appelle les cadences rompues et les cadences évitées.
Rappelons d'abord que tout accord constitutif d'une tonalité (majeure, mineure ou mixte), sous la forme d'un accord parfait (majeur ou mineur) ainsi que l'accord napolitain sont susceptibles de remplir le rôle de tonique secondaire (désignée comme x). Tels qu'ils apparaissent dans les marches, les substituts de x dans le couple V de x - x secondaire peuvent être ramenés aux deux catégories suivantes:
1. V de x - V de la fonction suivante dans le cycle de quintes : 1er substitut
L'accord de tonique secondaire attendu (soit x) est transformé en dominante de la fonction suivant x dans le cycle (dans une marche, cette situation ne peut se produire que dans le cadre d'une marche de type no 1). Cette relation correspond à celle que l'on observe dans la cadence évitée V - V de IV, où la fonction de dominante subsiste à condition que soit maintenu le rapport de quinte juste entre les fondamentales des deux accords en cause. Cette dernière observation implique que cette première catégorie de substituts n'entraîne que des variantes de surface qui ont déjà été illustrées dans les exemples 397, 399 et 432.
Il en va tout autrement de la deuxième catégorie.
2. V de x - VI de x ou IV de x: 2e substitut
L'accord de tonique secondaire attendu (soit x) est remplacé par un accord de sus-dominante ou de sous-dominante de x. Cette relation correspond à celle que l'on observe dans la cadence rompue (V - VI ou V - IV). Dans ce cas, au moment de l'interruption du traitement symétrique, l'accord agissant comme VI de x ou IV de x aura une double fonction, soit une première par rapport à la tonique secondaire et une deuxième par rapport à la tonique principale. C'est à partir de cette deuxième fonction que s'amorcera la formule de clôture.
Exemple 438 : W.A. Mozart : Sonate pour piano, K. 280, I (mes 35-43)
Marche de type no 7
Exemple 439 : J.S. Bach : Orgelbüchlein, BWV 622, O Mensch, bewein' dein' Sunde gross, Adagio assai (fin)
Marche de type no 7
Exemple 440 : F. Schubert : Quatuor à cordes, La jeune fille et la mort, D. 810, I, Allegro (mes 15-19)
Marche de type no 7
La substitution à la fonction I de la fonction VI dans le couple de référence (substitution de loin la plus fréquente) peut entraîner, en outre, une autre forme d'imitation, indépendante celle-là de toute polarisation secondaire:
Figure 40
Là encore, le motif mélodique caractéristique (aux voix extrêmes) renvoie à la marche de type no 1.
Exemple 441 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 15, BWV 884 (mes 7-13)
Marche de type no 1 sur le modèle V - VI
Exemple 442 : J. Brahms : Intermezzo, op. 119, no 2 (mes 15-17)
Marche de type no 1 sur le modèle V - VI
Enfin, d'autres variantes du contenu des marches sont causées par l'insertion de fonctions à l'intérieur d'un schéma donné correspondant à un type de marche classée; cette greffe s'inscrit d'ordinaire dans les limites d'un élargissement de la polarisation secondaire:
Exemple 443 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob XVI:37, I (mes 46-49)
marche de type no 4 avec greffes
Exemple 444 : W.A. Mozart : Sonate pour piano, K. 280, I (mes 17-26)
Marche de type no 1 avec greffes
L'abréviation a.a. renvoie à l'expression "altéré par analogie", qui sera ultérieurement explicitée.
Exemple 445 : W.A. Mozart : Quintette pour cordes, K. 581, III, Trio (mes 17-23)
Marche de type no 7 avec greffes
On peut même observer, au sein d'une marche, la greffe d'une formule entière.
Exemple 446 : W.A. Mozart : Concerto pour clarinette, K. 622, II, Adagio (mes 76-83)
marche de type no 7 avec greffe d'une formule III-II-V-I