Rappelons et ne cessons de rappeler que le discours harmonique tonal relève, à toutes fins pratiques, d'un couple qui transcende tout le système et qui en est à la fois le moteur et la fin: le couple dominante-tonique (V - I). C'est essentiellement dans cette perspective que se situe notre entreprise de classification. Toute marche d'harmonie va donc être perçue comme le produit d'une imitation du couple V - I pris comme objet de référence mais n'apparaissant pas nécessairement à l'intérieur de la marche.
L'imitation renvoie à ce couple,
- soit en sens droit (V - I):
Figure 17
quel que soit par ailleurs le mouvement mélodique (geste de quarte ascendante ou de quinte descendante);
- soit en sens rétrograde (I - V):
Figure 18
Notons ici qu'une perspective plagale peut alors se substituer à la perspective tonale (voir, entre autres, les exemples 374 et 454). On sait que le discours harmonique tonal intègre plusieurs gestes plagaux.
- soit en combinaison de ces deux sens (I - V - I):
Figure 19
Cette contrainte écarte de la classification non seulement les marches présentant plus de trois accords dans le modèle, mais également celles dont le modèle (à deux ou trois accords) ne correspond pas au couple de référence. Un autre clivage apparaît ainsi. En effet, ces marches, de loin les moins fréquentes, s'alimentent à même des fragments de discours stéréotypé (matériel harmonique préfabriqué) que nous avons déjà désignés comme étant des formules. Le modèle de la marche correspond alors à l'une ou l'autre de ces formules, par exemple:
Exemple 384 : J.S. Bach : Petits préludes et fugues, fugue no 8 (mes. 22-24)
Exemple 385 : D. Scarlatti : Sonate no 15, K. 175, (mes 61-63)
Exemple 386: J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. I, prélude no 10, BWV 855 (mes 9-15)
Exemple 387 : W.A. Mozart : Phantaisie, K. 475 (mes 128-131)
Exemple 388 : L.V. Beethoven : Quatuor à cordes, op. 18, no 6, IV, La Malinconia (mes 21-29)
Exemple 389 : J.S. Bach : Sonate pour flûte et clavier, BWV 1032, III, Allegro (mes 124-136)
Exemple 390 : W.A. Mozart : Symphonie no 40, K. 550, IV (mes 157-177)
Marche de type no 1 précédant la formule IV - V - I = IV
Le modèle peut même être constitué de plusieurs formules:
Exemple 391 : W.A. Mozart : Sonatine viennoise no 2, I (mes 12-19)
Noter ici que la reproduction, au lieu de répéter les trois formules du modèle, réunit les deux dernières en un seul ensemble (qui correspond à une marche de type no 1, comme on le verra plus loin).
À l'exclusion de ces cas, la classification proposée regroupe, sinon toutes, du moins la plupart des autres marches qui apparaissent dans le discours de Bach à Wagner. Trois critères de classification permettent d'en dégager 12 différents types:
1. Le jeu des fondamentales (réelles) dans le modèle.
Il faut rappeler ici que l'on admet, dans le rôle de dominante à l'intérieur du couple V-I (principal ou secondaire), au moins sept structures d'accords que voici:
Figure 20
2. La nature de l'intervalle de progression du modèle harmonique (seconde ou tierce).
3. La direction de l'intervalle de progression du modèle harmonique (marche descendante ou ascendante).
Les douze types de marche se répartissent alors selon le tableau suivant:
Figure 21
Il importe de signaler immédiatement que la classification d'une marche comme descendante (marches nos 1 à 6) ou comme ascendante (marches nos 7 à 12) relève d'un procédé d'abstraction qui lie le classement à la séquence des fondamentales (ainsi: do-fa-si-mi-la-ré-sol-do = marche descendante), de sorte que l'orientation mélodique descendante ou ascendante du discours lui-même, dans l'une de ses composantes ou dans toutes - à cause, par exemple, d'un geste d'octaviation - peut sembler en contradiction avec le classement:
Exemple 392 : J.S. Bach : Partita no 6, BWV 830, toccate (mes 99-101)
Marche de type no 1
Exemple 393 : L.V. Beethoven : Sonate pour piano, op. 10, no 1 (mes 32-44)
Marche de type no 2
Exemple 394 : F. Schubert : Symphonie no 9, D. 944, II, Andante con moto (mes 145-152)
Marche de type no 4