Responsable de cours de formation auditive, j'ai vite pris conscience de l'importance de la dimension harmonique dans l'apprentissage de la musique tonale. Le système tonal se définit, en effet, spécifiquement et essentiellement par cette dimension harmonique alors que celle-ci s'est toujours avérée, pour les étudiants, la plus rebutante parce que la plus difficile à cerner. Les contraintes de ce type de formation en lecture et en écoute m'imposaient en même temps de ne jamais me départir de cette préoccupation majeure pour la correspondance entre ce que l'on entend et ce que l'on voit. Je devais donc chercher au-delà (ou en deçà!) de procédures d'analyse musicale telles que schenkériennes ou sémiologiques, par exemple. On sait bien que ce n'est qu'au terme d'un long et minutieux processus de réécriture qu'on atteint l'objectif schenkérien, tout comme la perspective sémiologique implique, au moment de l'analyse du texte, un travail de démantèlement microscopique incompatible avec une référence majeure aux données auditives.
Or, le défi était pour moi le suivant: trouver ou forger des outils capables d'aider les étudiants en butte aux complexités de l'audition harmonique (tonale en l'occurrence). Y avait-il moyen de dégager les grandes lignes d'une pratique harmonique commune aux auteurs de Bach à Wagner, en identifiant des habitudes privilégiées, des constantes qu'il soit possible de définir avec suffisamment de précision pour qu'elles servent de base à l'apprentissage tant auditif que visuel de ce langage? Une perspective semblable allait cependant m'entraîner à exclure toute mise en contexte d'époque ou de circonstance ou toute considération d'ordre stylistique, à propos de toutes et chacune de ces oeuvres tonales dûment constituées en un immense et seul corpus.