6. ILLUSTRATIONS DU MODÈLE D'ANALYSE DU DISCOURS TONAL MODULANT À TRAVERS DIVERS EXTRAITS DU RÉPERTOIRE BACH-WAGNER
Les textes qui suivent nous permettent d'illustrer les trois types de pivotements présentés plus avant à la figure 10: le pivotement par imbrication, le pivotement par jonction et le pivotement par juxtaposition. Il nous arrive cependant, à l'occasion de certains exemples, de profiter d'un passage allongé délibérément, pour illustrer d'autres mécanismes que ceux attendus en fonction des intertitres. Mais l'analyse explicite de chacun des pivotements sur la partition ne laisse place à aucune méprise à cet égard.
Exemple 57 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. I, prélude no 3, BWV 848 (mes 1-63)
La figure suivante nous permet d'observer que l'on a affaire ici à un parcours tonal en miroir où, à certains moments, nous avons privilégié un emploi de polarisations secondaires pour nous ajuster au changement de figuration.
Figure 12
Exemple 58 : : F. Mendelssohn : Chants sans paroles no 31, op. 67, no 1 (mes 8-22)
Exemple 59 : J. Haydn : Sonate pour piano no 42, Hob. XVI:50, I, Allegro (mes 54-89, développement d'une forme sonate)
Exemple 60 : G.F.Handel : Messiah no 29, récitatif, "Thy rebuke hath broken hid heart"
Les récitatifs constituent un terrain privilégié d'observation des mécanismes modulatoires et des manoeuvres de pivotement à cause du dynamisme caractéristique de leur parcours tonal.
Exemple 61 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 8, BWV 877 (mes 15-18)
Exemple 62 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 15, BWV 884 (mes 13-23)
Exemple 63 : C.P.E. Bach : sonate Württemberg no 6, III, Allegro (mes 45-64, début du développement)
Exemple 64 : J. Haydn: Sonate pour piano, Hob. XVI:32, I, Allegro moderato (mes 26-37, fin de l'exposition et début du développement)
L'exemple ci-dessus fait voir la différence d'analyse qui marque l'emploi de " = ..." utilisé dans le contexte d'une cadence parfaite ou imparfaite à la suite de laquelle l'accord de la fonction I se trouve transformé en (mesure 29) et l'emploi de "V de IV = ..." utilisé dans le contexte d'une cadence évitée (mesure 34).
Exemple 65 : L.V. Beethoven : Sonate pour piano, op. 31, no 3, IV, Presto con fuoco (mes 64-91, fin de l'exposition et début du développement)
Exemple 66 : F. Chopin : Nocturne, op. 27, no 2, Lento sostenuto (mes 44-55)
Exemple 67 : W.A. Mozart : Quatuor à cordes no 16, K. 428, I, Allegro non troppo (mes 69-90, début du développement)
Exemple 68 : L.V. Beethoven : Quatuor à cordes, op. 18, no 5, III, Andante cantabile (mes 98-109, début de la coda)
Notons ce procédé où la mutation de la fonction I en est introduite par une note de passage, ce qu'on observe également dans l'exemple suivant:
Exemple 69 : F. Schubert : Die schöne Müllerin, op. 26, no 6, Der Neugierige (mes 38-46)
Exemple 70 : C.P.E. Bach : Sonate Württemberg no 3, I, Allegro (mes 56-75)
Exemple 71 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:48, I, Andante con expressione (mes 109-118)
Observons ci-dessus l'emploi d'un accord parfait mineur au moment de la fonction VII, ce qui survient quelquefois dans le mode mineur comme si le 2e degré abaissé (composante obligée de l'accord napolitain) se présentait comme degré constitutif d'une gamme mineure (revoir exemples 15 et 473 de la première partie du site).
Exemple 72 : L.V. Beethoven : Symphonie no 5, op. 67, II, Andante con moto (mes 23-31)
Exemple 73 : W.A. Mozart : Quatuor à cordes no 15, K. 421, I, Allegro (mes 37-53, fin de l'exposition et début du développement)
Relevons dans l'exemple précédent un pivotement en cours d'U.S.H. avec V de V = V de V (6te all).
Exemple 74 : L.V. Beethoven : Sonate pour piano, op. 26, III, Marcia funebre sulla morte d'un Eroe (mes 9-21)
Exemple 75 : L.V. Beethoven : symphonie no 5, op. 67, I, Allegro con brio (mes 44-66)
Exemple 76 : F. Liszt : Consolation no 4, Quasi Adagio (mes 16-27)
Outre un pivotement par jonction à la suite de la transformation d'une fonction I en un accord de septième diminuée, l'exemple précédent fait d'abord entendre un pivotement par jonction à la suite d'une fonction V et deux pivotements par imbrication au moyen d'un couple pivot mettant l'axe symétrique en évidence dans le cadre d'une marche de type no 8.
Exemple 77 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:22, III, Finale, Tempo di Menuetto (mes 55-70)
Surprise ici! À la suite du passage précédent (mes 55-62) en mi majeur, l'apparition de l'accord de tonique mineur (mes 63) laisse présager un évènement contrastant, mais dans le même ton "minorisé". Ce n'est pas le cas: le ton de ce nouvel évènement, déterminé par son point d'arrivée, va se révéler celui de sol majeur.
Remarquons en outre que l'accord de sixte à la mesure 67 revêt une double fonction: d'abord fonction VII à la fin de la chaîne d'accords de sixte et puis fonction V par rapport à ce qui suit.
Exemple 78 : J.S. Bach : Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 9, BWV 878 (mes 21-31)
Exemple 79 : F. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:34, II, Adagio (mes 18-24, fin de l'exposition et début du développement)
Exemple 80 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:52, I, Allegro moderato (mes 39-51, fin de l'exposition et début du développement)
Exemple 81 : C.P.E. Bach : Sonate Württemberg no 5, III, Allegro assai (mes 36-52)
On observe ici un emploi plus sophistiqué du pivotement I = VII alors que cette dernière fonction apparaît sous la forme d'un IV de IV à l'intérieur d'un groupe pivot tout au début du développement.
Exemple 82 : W.A. Mozart : Quatuor à cordes no 14, K. 387, I, Allegro vivace assai (mes 56-86)
Exemple 83 : J. Brahms : Symphonie no 1, op. 68, III, un poco Allegretto e grazioso (mes 11-25)
Exemple 84 : L.V. Beethoven : Symphonie no 3, op. 55, I, Allegro con brio (mes 198-220, développement)
Exemple 85 : L.V. Beethoven : Sonate pour piano, op. 31, no 2, III, Allegretto (mes 83-134, fin de l'exposition et début du développement)
Observons ici la carrure métrique du rythme harmonique (de quatre mesures en quatre mesures) qui n'est rompue qu'une seule fois (mes 115-122) alors que s'enchaînent un groupe de trois mesures et un groupe de cinq mesures.
Exemple 86 : R Schumann: Novelette, op. 21, no 1, Markirt und kräftig (mes 17-24)
Mais l'on trouve cette manoeuvre déjà chez Bach:
Exemple 87 : J.S. Bach: Le clavier bien tempéré, vol. II, prélude no 11, BWV 880 (mes 50-60)
Exemple 88 : J. Haydn : Sonate pour piano, Hob. XVI:38, II, Adagio (mes 1-9)
Exemple 89 : F. Chopin : Nocturne, op. posthume 72, no 1, Andante (mes 1-13)
Exemple 90 : L.V. Beethoven : Variations, WOo76, variation 8, Allegro vivace (mes 41-94)
Extrait d'une forme ABA', le fragment ci-dessus fait entendre la section B et le retour de A. De manière atypique, le parcours tonal au début de B (mes 41-46) se poursuit dans le ton de A (fa majeur) alors que le retour de A (mes 61 et suivantes) ne ramène pas immédiatement le ton initial.
Si l'accord entier de fa majeur était soutenu durant les mesures 45-46, on ne trouverait aucun rapport entre les deux tonalités en cause (fa majeur et lab majeur). Mais si l'on considère la note (brodée) restée en place, on aperçoit le lien.
Relevons également le parcours tonal dit romantique qui correspond ici à une division symétrique de l'octave par tierces mineures: fa majeur, lab majeur, si majeur, ré majeur, fa majeur.
Observons enfin que le ton de ré passe du majeur au mineur (mes 67-68) de manière à assouplir le retour à fa majeur, par le biais de la répétition du couple V - I que nous traitons comme couple pivot afin de ne pas amputer le modèle de la marche harmonique de type no 2 qui ramène le ton principal.
Exemple 91 : J.S. Bach: Sonate pour flûte et clavier obligé, BWV 1030, Andante, I (mes 65-70)
Exemple 92 : J. Haydn : Quatuor à cordes, op. 54, no 1, II (mes 88-107)
On relèvera ci-dessus le parcours tonal dit "romantique" qui correspond ici à la division symétrique de l'octave par tierces mineures (avec une tonalité absente): do majeur, mib majeur, solb majeur, do majeur).