3. L'UNITÉ DISCRÈTE DE DÉCOUPAGE
J'ai, pour ma part, dégagé de cette prémisse, la substance et partant la définition de ce que j'appelle l'unité de découpage du discours harmonique. Cette unité, dite unité structurelle harmonique (U.S.H.), se définit comme un ensemble de fonctions harmoniques séquentielles dont la signification est essentiellement liée à la progression systématique à même un cycle de quintes descendantes. Cet ensemble peut prendre comme point de départ n'importe laquelle des fonctions du cycle et comme point d'arrivée la fonction V, la fonction I (ou l'un des substituts de I) ou parfois la fonction IV après I. Par exemple, on pourrait avoir comme U.S.H. tonales:
- I - IV - VII - III - VI - II - V - I
- IV - VII - III - VI - II - V - I
- VI - II - V - I
- VI - II - V - VI (substitut de I dans une cadence rompue)
- VI - II - V - V de IV (substitut de I dans une cadence évitée)
- III - VI - II - V
- II - V
- VI - II - V - I - IV (plus rarement)
- etc.
À partir de cette définition, on remarque qu'une U.S.H. tonale contient toujours, mais pas plus d'une fois, la fonction V comme élément indispensable à l'établissement d'une polarisation tonale, c'est-à-dire d'une tonalité. De fait, l'appartenance tonale est établie dès le moment où la fonction V est identifiée comme telle. L'U.S.H. correspond ainsi à une portion signifiante de discours harmonique et partant de discours tonal. À condition bien sûr, et c'est là un autre a priori de cette théorie, partagé par d'éminents théoriciens comme Charles Rosen et Goldman (pour ne nommer que ceux-là), que l'on accepte de considérer le paramètre harmonique comme fondamentalement sinon exclusivement responsable de la spécificité tonale. L'U.S.H. répond en même temps à cette quête d'outils de balisage et de repérage tant auditifs que visuels, qui rejoignait l'objectif de départ.
Il importe, avant d'aller plus loin, de distinguer l'unité structurelle harmonique (dite U.S.H.) de l'unité structurelle musicale, comme par exemple la phrase qui, elle, ressortit au sens musical proprement dit (et qui pourrait contenir plus d'une U.S.H.), alors que l'U.S.H. renvoie au sens tonal exclusivement (on est, par l'U.S.H., fixé sur l'appartenance tonale).
Il importe également de distinguer l'U.S.H. de ce que l'on a appelé les formules du vocabulaire harmonique. Correspondant aussi à un fragment du discours harmonique nettement différencié, la formule harmonique se distingue de l'U.S.H. en ce qu'elle présente toujours un fort taux de récurrence à travers le répertoire et peut aussi faire intervenir plus d'une U.S.H.. Ainsi en est-il de la formule suivante:
V - VI - IV - V - I
1ere ush 2e ush
En d'autres termes: une U.S.H., c'est un tour du cadran dans le cycle des quintes. Une formule, ce n'est qu'une petite suite d'accords stéréotypée, qui revient très très très très souvent dans le répertoire tonal (et qui peut elle-même se découper en U.S.H.). Mais nous y reviendrons...
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Outre l'U.S.H. tonale, vu l'insertion fréquente du geste plagal dans le discours harmonique tonal, on envisage également l'U.S.H. de type plagal, caractérisée par un mouvement en sens inverse dans le cycle, allant de IV à I. C'est la seule U.S.H. excluant la présence de V (voir sur la figure ci-dessous: la flèche pointillée qui revient sur I).
Figure 10
Tonal? Plagal?...
Un geste tonal est un geste qui fait entendre une relation de dominante - tonique (V - I) tandis qu'un geste plagal est celui qui fait entendre une relation de sous-dominante - tonique (IV - I).
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Enfin, et conformément à la tradition d'entrée dans l'oeuvre comme le souligne Goldman, la fonction I peut toujours survenir en tête de n'importe quelle U.S.H, ainsi:
- I - VI - II - V - I : U.S.H. de type tonal
- I - II - V - VI : U.S.H. de type tonal
- I - IV - I : U.S.H. de type plagal
Ces dernières U.S.H. ainsi que toutes celles données en exemple jusqu'ici illustrent le rapport direct entre la structure d'un cycle de quintes descendantes et la progression du discours harmonique. Mais la pratique tonale fait état de bien d'autres gestes harmoniques qui semblent s'écarter de ce fonctionnement systématique et qui réclament des données théoriques pouvant rendre compte des modes d'intervention sur la structure de base.
